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Mai 1909 : première tentative au K2 par le Duc des Abruzzes

Peu après le retour de l’expédition du Duc des Abruzzes dans le Karakoram, un compte-rendu est édité. Il est rédigé par un des membres du groupe, Filippo de Filippi. Le récit, qui s’étale sur plusieurs mois, raconte en détails tout le voyage. De Marseille à Srinagar, dans la vallée de l’Indus, sur le glacier du Baltoro, et bien sûr, les observations et explorations autour et sur le K2. Extrait de ce récit introuvable en librairie. L’aventure dure déjà depuis près de deux mois et les hommes viennent d’arriver au pied du K2, ils vont en tenter l’ascension.

Chapitre XIII De Concordia au pied du K2, observations préliminaires et première tentative.

<< (…) Le 27 mai, nous avions établi notre camp, avec des provisions pour un mois, suffisamment pour un long siège. Les tentes étaient installées en deux rangées sur une surélévation rocheuse de la moraine, avec le camp des porteurs quelques dizaines de mètres plus loin, en contrebas. Notre matériel était stocké à l’abri de mur de pierre et recouvert de bâches. Cet endroit était désormais, arrangé de la sorte, un camp de base vers les explorations à venir sur le K2. Une série d’observations météos se déroulèrent sur place, identique à celles menées à Urdukas et dans les quatre stations cashmeres. Nos résultats donnèrent au camp une altitude de 5.027 mètres, et il devint une nouvelle station de référence pour les calculs de pression.

Le Duc décida de faire une tentative sur l’arête sud de la montagne. Elle était certainement plus raide et plus longue que la crête nord-ouest, qui descend du col au sommet du glacier que nous avions déjà exploré. Mais d’un autre côté, elle avait certains avantages. Déjà, il n’y avait pas cette ascension en glace pour arriver au col. Et surtout, la paroi était orienté plein sud, elle recevait les rayons du soleil dès la première heure du jour. C’est une considération importante pour les explorations au-dessus de 7.000 mètres tant le froid peut se révéler être, non seulement une difficulté mais surtout un grand danger.

L’itinéraire défini, il restait à établir un plan d’attaque. Presque sur toute l’arête, nous pouvions apercevoir à travers nos jumelles les reflets de la glace, dure et polie comme du cristal, qui ajoutait à la paroi une dernière difficulté. Nous espérions que quelques jours de soleil et de vent pourraient dégager les rochers et nous offrir de bonnes prises pour les mains et les chaussures cloutées. Environ 1.000 mètres au-dessus de nous, une barre rocheuse jaune rougeâtre se distinguait clairement. L’objectif était d’installer un camp d’altitude à cet endroit, avec nos tentes Whymper, nous permettant de patienter quelques jours si besoin. Les petites tentes Mummery ne protègent pas vraiment du mauvais temps, mais elles offrent un abri acceptable pour la nuit. De ce camp, le Duc espérait atteindre l’épaule de la montagne, à la faveur d’un autre camp léger. Le sommet lui-même, était invisible depuis là où nous nous tenions mais l’atteinte de l’épaule (7.700 mètres environ) était déjà une entreprise qui valait notre engagement.

(…)

Les guides, porteurs et coolies travaillèrent deux jours durant, transportant le matériel nécessaire jusqu’à l’arête. Nous nous occupâmes à l’aménagement du camp, une tâche sans fin : arranger les tentes au mieux, combler les trous dans la glace pour empêcher la formation de flaques, niveler le sol avec nos piolets. Le temps se dégrada à nouveau. Le vent soufflait en altitude aussi violemment que dans les Alpes en hiver. Les tempêtes faisaient rage sur les sommets et les pics enneigés, et de longues bandes de brouillard étaient amenées par le vent du sud-ouest. Les voiles de brumes s’épaississaient peu à peu autour du K2 et du Broadpeak. Les nuages sombres descendaient progressivement vers Concordia et l’entrée du Baltoro. La température descendait régulièrement sous les 0°C. Il n’y avait plus d’avalanche, si bien que quand le vent se calmait, le silence était si profond qu’il en devenait oppressant.

Le matin du 30 mai, tout fut prêt. Le temps n’avait pas changé et les montagnes semblaient sinistres. Nous fîmes nos adieux à notre leader, lui souhaitant de réussir, sans arriver à masquer nos craintes quant au danger de son entreprise. Ces montagnes n’étaient pas comme les autres, on ne pouvait pas les regarder sans inquiétude et pressentiment. Le Duc était accompagné par les trois guides, les quatre porteurs et les coolies, portant leurs propres tentes et leur stock de chappattis. Il traversa le front du glacier qui venait de la face sud du K2 et grimpa le Godwin Austen jusqu’au pied de l’arête sud, quelques 150 mètres plus haut que notre camp. Puis il gagna la dépression peu profonde entre le glacier et la paroi, couverte d’éboulis éparpillés sur une roche plus solide. La pente n’était pas très forte. Il demeura sur le côté droit de l’arête et atteint un coin ensoleillé et abrité (5.560 mètres) au pied d’une dent rocheuse. Les guides déposèrent leur matériel et l’on fît un peu de place pour les deux tentes Whymper.

(…)

Ils atteignirent un col étroit moins de 300 mètres au-dessus du camp.  Le rocher friable était mélangé à de la glace et de la neige ; mais jusqu’alors, le chemin fut facile bien qu’exposé de temps en temps à des chutes de pierres. Ils déposèrent leurs charges avant de retourner aux tentes.

Le 31 mai fut étonnamment beau. Les charges pesaient désormais un peu plus de 10 kg et les coolies consentaient à les porter et à suivre les guides jusqu’au col. Un couloir de glace très raide s’élevait au-dessus du col, il se divisait plus bas en deux branches. Il était impossible de grimper sur les rochers qui bordaient le couloir, alors les guides se lancèrent directement dans ce dernier, laissant les coolies attendre avec Bareux. Ils grimpèrent d’abord dans de la neige puis sur de la glace en restant à proximité du bord gauche sur lequel ils fixèrent près de 100 mètres de corde pour aider ceux qui viendraient avec des charges. De cette manière, ils gravirent quelques 200 mètres puis 100 de plus sur les rochers ; ils firent demi-tour vers 15 heures après avoir atteint environ 6.100 mètres. Deux heures plus tard, ils étaient de retour à la tente.

(…)

De ce qu’ils avaient aperçu sur l’arête au-dessus du couloir, les guides pensaient qu’ils ne rencontreraient pas d’obstacles insurmontables plus haut, mais il était évident que l’ascension prendrait beaucoup plus de temps que prévu. Pour cette raison, le Duc renvoya six coolies jusqu’au camp de base le matin suivant pour qu’ils rapportent des vivres pour un séjour plus long.

(…)

Dans le même temps, ceux sur l’arête ne perdirent pas de temps, même quand la météo se détériora. Les guides et porteurs, sans leurs bagages, quittèrent les tentes au petit matin pour explorer l’arête et voir jusqu’où l’on pouvait la gravir avant de rencontrer de nouveaux obstacles. Ils arrivèrent rapidement au col puis grimpèrent le couloir à l’aide des cordes laissées la veille. Cette hauteur gagnée, ils prirent pied sur une mince crête rocheuse particulièrement instable. D’un côté, la pente descendait dans le couloir par lequel ils étaient arrivés, de l’autre une cascade de glace se jetait vers le glacier Godwin Austen, quelques 1.000 mètres plus bas. Les guides furent alors unanimes pour expliquer l’incroyable illusion d’optique qu’ils avaient subie. Des dalles de roche qui de loin semblaient douces et faciles, se révélaient être quasi-verticales. (…) >>  

Voir aussi : Le Chogolisa, le Duc des Abruzzes, 1909 !

Illustration © DR

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Arnaud P

Passionné par l'univers de la montagne sous tous ses aspects, Arnaud est membre de la rédaction d'Altitude.News ! Originaire du sud de la France, ça ne l'a pas empêché de s'installer un temps en Savoie ! Il écrit des articles dans les catégories : Alpinisme, Rando/Trek, Business et Nature. Pour le contacter directement : arnaud@altitude.news !

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