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Automne 1866 : le capitaine Arkwright dans une avalanche au Mont-Blanc !

Dans Le Mont-Blanc, Charles Durier raconte ici une ascension de la fin d’année 1866. Un militaire britannique de haut-rang, ancien joueur de cricket, venait se mesurer aux 4.807 mètres de la montagne. Mal lui en prit. Voici l’histoire du capitaine Arkwright au Mont-Blanc.

<< L’année 1866 n’était pas écoulée. L’arrière-saison se montrait si belle que le mois d’octobre n’avait pas mis fin aux grandes courses, ce qui ne s’était encore vu qu’une fois, lors de l’ascension du comte de Tilly (9 octobre 1834). Le comte de Tilly était revenu avec les pieds gelés. Le prince Paskiewitch voulut l’imiter et l’imita parfaitement – car, à quatre jours près, il atteignit la cime à la même époque (5 octobre), en revint les pieds gelés et fut obligé de garder la chambre pendant plus d’une semaine.

Un soir que le prince, étendu sur un lit de repos devant une des fenêtres de l’hôtel Royal, réfléchissait aux dangers des expéditions tardives et se félicitait encore d’entre être quitte à si bon compte, quelle ne fut pas sa surprise de voir, bien haut dans la montagne, les glaciers s’éclairer d’une lueur rougeâtre ! En même temps il entendait au dehors les exclamations, le va-et-vient d’une foule de gens. Une détonation ébranla les vitres ; on tirait le canon à Chamonix. Il sonna.

— Qu’es-ce donc ?

— Prince, ce sont des feux de Bengale qu’on a allumés, pour se divertir, sur la terrasse de la nouvelle cabane aux Grands-Mulets.

— Comment ! il y a donc encore du monde aux Grands Mulets ?

— Il y a deux caravanes. M. Henry Arkwright, capitaine dans l’armée anglaise et aide de camp du lord-lieutenant d’Irlande, avec le guide Michel Simond et les porteurs Joseph et François Tournier. Il y a aussi Sylvain Couttet.

— Pour les recevoir.

— Et pour aller aussi au Mont-Blanc avec notre camarade Nicolas Winhart, de l’hôtel, à qui il a promis de faire l’ascension.

— Au Mont-Blanc ! Ah, les malheureux ! qu’ils s’en gardent bien ! ils gèleront tout entiers !

Le prince Paskiewitch ne fut que trop bon prophète. Le lendemain, 13 octobre, après avoir fait flamber aux Grands-Mulets ces pièces d’artifice dont Hamel, on s’en souvient, désirait tant de voir l’effet, le capitaine Arkwright se remettait en route. L’Ancien passage, depuis la catastrophe Hamel, n’était guère usité ; mais les jours sont courts en octobre et il abrège de deux heures : on prit donc l’Ancien passage et, juste à l’endroit où une avalanche de neige s’était formée sous les pas de Hamel et de ses guides, un avalanche de séracs se précipita sur la double troupe de M. Arkwright et de Sylvain Couttet.

Celui-ci passait le premier ; quand il entendit le craquement des glaces au-dessus de sa tête, un peu à droite, il poussa un cri d’alarme et, d’instinct, sans raisonner, il s’élança devant en entraînant son camarade. Une voix s’écria dans l’autre troupe : « Non ! pas de ce côté-là ! ». Au même moment, l’avalanche était sur eux. « Couchons-nous ! » cria encore Sylvain, et en même temps il enfonce profondément son pic dans la glace et se cramponne au manche, à genoux, la tête baissée et tournée contre l’ouragan. L’épais nuage de neige poudreuse que soulevait l’avalanche l’enveloppa ; il sentit des blocs de glace passer sur son dos, des glaçons lui fouetter le visage et un bruit affreux de craquements l’étourdit comme un roulement de tonnerre.

Ce ne fut qu’au bout de huit ou dix minutes que l’air s’éclaircit et que, toujours les mains crispées sur son pic, il aperçut à deux mètres de lui Nicolas Winhart, qui avait suivi tous ses mouvements, accroupi arc-bouté sur son alpenstock fortement implanté dans la glace. La corde qui les liait était intacte. Mais, derrière son compagnon, il ne vit plus rien que les derniers nuages de neige qui flottaient encore au-dessus des blocs de l’avalanche entassés sur une étendue de plus de deux cents mètres. La corde fut détachée et tous deux se mirent à explorer dans tous les sens l’énorme amoncellement de débris.

A cinquante mètre plus bas, ils aperçurent un sac, puis un homme. C’était François Tournier, le second porteur, la figure horriblement mutilée, le crâne enfoncé par un bloc de glace et la jambe droite fracturée en deux endroits. La corde qui le liait à ses camarades était coupée à un mètre de distance en avant et en arrière. Deux heures de recherches n’ayant pas amené d’autres découvertes, ils trainèrent le pauvre François jusqu’au Grand-Plateau et redescendirent en toute hâte à la cabane des Grands-Mulets.

Je tiens de la bouche de Sylvain Couttet un détail navrant. Je le laisse parler.

« Le capitaine Arkwright était venu à Chamonix avec sa mère et deux sœurs : l’une, âgée de vingt ans, avait voulu l’accompagner jusqu’aux Grands-Mulets. Comme j’y rentrais, après avoir perdu espoir de sauver une seule des victimes, je trouve ses trois guides devant la porte. Je ne pense pas, d’abord ; je leur raconte l’accident, puis l’idée me vient, je leur dis :

— Comment se fait-il que je vous trouve ici ? Sa sœur n’est donc pas redescendue ?

— Non, ils me répondent, elle attend.

— Ah ! mon Dieu !

Il fallit lui apprendre le malheur ; eux ne voulaient pas s’en charger. Moi je n’osais pas. Enfin, je prends mon courage, j’entre. Elle était assise là, au fond, la fenêtre ouverte, avec un album sur ses genoux et dessinait le Dôme du Goûter. En la voyant si tranquille, je suis tellement saisi de ce que j’ai à lui annoncer, que je reste sur la porte, la figure décomposée, sans pouvoir prononcer une parole. Elle se retourne :

— Eh bien ! Sylvain ?

J’avais la gorge trop serrée, le lève les bras comme çà. Elle me crie :

— Mon frère !

— Faites courage, mademoiselle.

Alors elle devient blanche comme la neige, se lève, va devant la fenêtre, s’agenouille, joint les mains, et se met à prier en regardant la montagne. Après, elle vient droit à moi et me dit :

— Vous pouvez tout me dire maintenant, Sylvain ; je suis prête. (…) » >>

La famille Arkwright propose de payer une rente de 65F par mois aux trois veuves de Chamonix. En savoir plus sur cet épisode de l’histoire du Mont-Blanc (en anglais) .

Illustration © DR

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Arnaud P

Passionné par l'univers de la montagne sous tous ses aspects, Arnaud est membre de la rédaction d'Altitude.News ! Originaire du sud de la France, ça ne l'a pas empêché de s'installer un temps en Savoie ! Il écrit des articles dans les catégories : Alpinisme, Rando/Trek, Business et Nature. Pour le contacter directement : arnaud@altitude.news !

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