Everest

Laissé pour mort à 8.500 mètres sur l’Everest !

Ce n’est pas certain que cette histoire vous donne envie de partir à la conquête de l’Everest. Cette saison là, Alex, le chef de l’expédition de Lincoln Hall, a bien failli quitter son job.

En 1984, Lincoln Hall est membre de la première expédition australienne à l’Everest, sans oxygène. Plusieurs alpinistes du groupe parviennent au sommet. Pas Hall. Il repart, déçu, bien décidé à prendre sa revanche un jour. Ce natif de Canberra continue sa carrière de grimpeur en ouvrant notamment une première voie sur le Mont Minto, point culminant de la Chaîne de l’Amirauté, en Antarctique. C’était en 1988.

En 2004, Hall reçoit un coup de fil d’un ancien comparse, vidéaste de l’expédition de 1984. Il se prépare à repartir pour l’Everest, réaliser un reportage sur un adolescent qui veut être le plus jeune grimpeur au sommet. Et il a besoin d’un homme de confiance, capable de faire de belles images. Hall prend cet appel téléphonique comme une invitation. Sa femme Barbara n’a pas le cœur à le retenir. Depuis 1984, elle sait les regrets de Lincoln de n’avoir pas réussi.

Revanche sur l’Everest pour Lincoln Hall ?

A 50 ans, Hall est en pleine forme, il s’envole donc pour le Népal, histoire de prendre sa revanche sur le premier sommet du monde. L’expédition bat son plein et très vite, le jeune grimpeur – 15 ans – ne se sent pas la force d’atteindre le sommet. Fort prudemment, il renonce à son rêve de record. Mais Lincoln Hall n’en a pas fini, il sent qu’il peut atteindre ce sommet tant convoité. L’ambiance au camp de base n’est pourtant pas à la fête. Le 15 mai, un Britannique est mort à plus de 8.000 mètres. David S. Exténué, il n’arrivait plus à avancer.

Plusieurs dizaines de grimpeurs sont passés sous ses yeux, sans lui venir en aide, alors qu’il n’avait pas encore succombé. Seul un sherpa a tenté de lui donner un peu de son oxygène, sans beaucoup d’effet. Que les expéditions encore en cours se le disent, les défaillances au-delà d’une certaine altitude ne sont pas permises. Personne ne viendra à votre secours ! En cette saison 2006, les conditions sont pourtant optimales voire exceptionnelles, la météo est très bonne. Et elle se maintient au beau fixe depuis plusieurs jours sur ce versant tibétain.

Malgré les morts, départ pour le sommet !

Dans la nuit du 24 au 25 mai, Lincoln Hall se lance dans la plus longue journée de son expédition. Dix-huit heures sont nécessaires pour aller au sommet et revenir. Après quelques heures de montée dans la nuit noire, il croise le corps de David S. Les trois ressauts rocheux qui barrent l’accès au sommet ne posent pas trop de problèmes à l’Australien. A 9 heures du matin, Lincoln Hall parvient au sommet avec une déroutante facilité. Il y reste une vingtaine de minutes.

Au camp de base, Alexander, le montagnard russe en charge de l’expédition, ne se réjouit pas vraiment. Un autre grimpeur du groupe, Igor, est mort avant d’atteindre le sommet, quelques heures plus tôt. Et au moment même où Hall crie victoire, un dernier membre de leur équipe, Thomas, tombe la tête la première dans la neige alors qu’il abandonnait sa tentative. Ce n’est rien de moins que le onzième mort de la saison. Debout dans sa tente au camp de base, Alexander n’est pas au bout de ses surprises.

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Lincoln Hall lâche prise

Quelques heures plus tard, les sherpas l’informent que Hall ne veut plus avancer. Il a des hallucinations, il fait demi-tour et veut retourner au sommet. Les sherpas l’en empêchent alors il reste campé à 8.600 mètres d’altitude. Le chef d’expédition envoie le sherpa de Thomas à la rescousse. Mais un rappel au niveau du deuxième ressaut tourne court. Lincoln perd l’équilibre et atterrit sur l’un des porteurs, en plantant ses crampons dans sa jambe. Blessé, le guide ne laisse pas tomber. Avec ses trois collègues, il continue d’escorter Lincoln dans la descente. Chaque pas est un combat titanesque. A 17h, le groupe n’est pas allé bien loin et ce sont désormais les 5 alpinistes qui sont en danger de mort.

Quelques minutes plus tard, Hall sombre dans une profonde léthargie. A 17h20, les sherpas le déclarent mort. Le bilan de l’expédition commence à être lourd, mieux vaut ne pas ajouter des sherpas sur la liste. Les symptômes de Hall sont clairs, il vient de faire un œdème cérébral de haute altitude. Même s’il n’est que dans le coma, il va mourir dans 2 peut-être 3 heures. S’il ne veut plus avancer, on ne peut pas l’aider. Le chef d’expédition donne finalement ordre aux sherpas de redescendre, quelques deux heures plus tard.

Assez vite, la nuit tombe sur l’Everest avec son cortège de températures glaciales. La mort dans l’âme, le camp de base appelle Barbara, la femme de Lincoln pour lui annoncer les conditions de sa mort.

Un sursaut de vie et des hallucinations

Quelques heures plus tard, la fourmilière de l’Everest se réveille. Les expéditions reprennent leur lente marche vers le sommet, camp après camp. Ce matin là, une cordée emmenée par un guide américain réputé se lance dans la dernière phase de l’ascension. Ils sont à un peu moins de deux heures du sommet quand ils atteignent l’endroit où le corps de Hall a été abandonné. Ils trouvent ce dernier à demi-vêtu, sans bonnet, sans lunettes de soleil, sans gant… Mais bien vivant et plus ou moins lucide ! Cet homme a passé une nuit à plus de 8.500 mètres et il est toujours vivant et leur adresse la parole.

Ses doigts ont gelés mais il refuse de remettre des gants. Il va vraiment mal mais il est bel et bien en vie. Sans trop le brusquer, les coéquipiers du guide américain tentent de le réchauffer. Ils lui donnent du thé, lui remettent ses vêtements, lui prêtent des gants. A ce moment là, ils doivent lutter pour empêcher Hall de se jeter dans le vide. Il se croit sur un bateau et veut à tout prix plonger dans l’eau pour se rafraichir ! Le manque d’oxygène joue décidemment des tours à son cerveau.

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Le guide appelle le camp pour que l’on prévienne l’expédition de Hall. Alexander est interloqué. D’abord incrédule, il envoie aussitôt une équipe de sherpas pour relayer les Américains. Pendant ce temps, ces derniers restent avec Hall, renonçant pour de bon à leur sommet.

La descente et le soulagement

Vers 11h30, les sherpas arrivent. Ils vont se lancer dans une descente épique et atteindre le col Nord (7.000m) en fin de journée. Le jour suivant, Hall est descendu jusqu’au camp de base avancé, à 6.500 mètres. Plusieurs équipes permettent ce sauvetage et à mesure que l’Australien descend, il commence à reprendre ses esprits. Un nouveau coup de fil à Barbara et c’est le soulagement. Lincoln a survécu. Au final, à part une dizaine de phalanges en moins, il revient entier de cette seconde expédition à l’Everest. Seconde et dernière, plus question d’y retourner, il a bien atteint ce satané sommet. Il passera les dernières années de sa vie à écrire des livres et parler de ses expériences en haute montagne. L’hypothermie, l’œdème cérébral et une nuit dans la zone de la mort n’auront pas eu raison de lui. En 2012 pourtant, un cancer des poumons aura été plus fort.

Illustrations – Everest © Pixabay

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Arnaud P

Passionné par l'univers de la montagne sous tous ses aspects, Arnaud est membre de la rédaction d'Altitude.News ! Originaire du sud de la France, ça ne l'a pas empêché de s'installer un temps en Savoie ! Il écrit des articles dans les catégories : Alpinisme, Rando/Trek, Business et Nature. Pour le contacter directement : arnaud@altitude.news !

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