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Tamara Lunger : « tu ne t’en sortiras pas vivante »

A 31 ans, Tamara Lunger est une athlète discrète. Pourtant, à y regarder de plus près, son parcours gagne à être connu. D’abord passée par le ski alpinisme (et deux victoires de la Pierra Menta en catégorie Espoir), l’italienne est désormais une himalayiste étonnante. Et pour cause, ce qui l’attire c’est l’extrême difficulté. C’est ainsi qu’elle préfère désormais les ascensions hivernales à celles lors de périodes à la météo plus propice. Le tout, dans un style très classique sans apport d’oxygène supplémentaire.

Rencontre dans les Dolomites avec Tamara

Elle nous a raconté son parcours, avec beaucoup d’humilité et d’autodérision. De ses premiers pas en ski à ses 8.000 himalayens. En passant par son rapport à la prise de risque et à la mort.

Altitude.News – Qui êtes-vous Tamara et comment êtes-vous venue à la montagne ?

Tamara Lunger – J’ai grandi dans le Tyrol du Sud, dans les Dolomites. J’étais toujours dehors, dans un tout petit village, déjà au cœur des montagnes. Et puis mon père faisait des courses de VTT. On le rejoignait le week-end, j’étais déjà dans cette ambiance sportive. J’ai assez vite compris que c’est dans ce genre d’ambiance que je voulais être. Quand j’ai eu 14-15 ans, j’ai commencé à skier. Oui je sais c’est tard ! (rires). Dès ma première course de ski alpinisme, je savais que je voulais faire çà. Alors j’ai fait du ski alpinisme pendant plusieurs années [NDLR : elle a ainsi intégré l’équipe italienne de ski alpinisme].

Tamara Ski Alpinisme
Tamara Lunger en mode ski alpinisme

A.N. – Mais ce n’était pas suffisant…

T.L. –  Je voulais faire quelque chose de plus dur. Quand je me couche en étant vraiment crevée, si j’ai beaucoup souffert, je suis vraiment très heureuse. Ma maman ne comprend pas çà (rires). Quand je n’étais pas là à la maison, la montagne me manquait. Je voulais sentir, explorer, vivre la montagne plus intensément, plus profondément. J’ai eu la chance de rencontrer Simone Moro et ça a été le début de nouvelles aventures.

A.N. – Simone Moro, rien que çà…

T.L. – En fait, sa femme était ma prof de sport. Et il est venu avec elle à la fête de fin d’année du lycée… On a discuté et il m’a promis qu’il m’emmènerait dans l’Himalaya. Je ne sais pas si c’était une blague mais quelques années plus tard, je l’ai contacté sur Facebook pour lui rappeler sa promesse ! Et il m’a répondu : « ok, viens avec moi sur mon Expédition au Cho Oyu ». C’était en 2009. J’étais tellement heureuse. C’est vraiment ce que je voulais. C’était honnêtement l’un des plus beaux jours de ma vie.

A.N. – Donc vous voilà au Népal pour une période d’acclimatation, mais pas de sommet…

T.L. – La frontière chinoise a été fermée quelques jours après notre arrivée, pour fêter l’anniversaire de la République de Chine. Les voies vers le sommet étaient interdites. Alors on a dû faire demi-tour. Avant d’apprendre cette mauvaise nouvelle, on avait eu le temps de grimper au sommet de l’Island Peak [6.189m]. C’était assez pour que je comprenne que je voulais être là. C’était çà, je le sentais. Là, c’était mon truc. En rentrant, j’ai tout de suite planifié deux expéditions : au Lhotse et à nouveau au Cho Oyu. J’ai dû mettre mes études à Innsbruck en stand-by pendant un an. Mais mes parents étaient à fond avec moi. On est 3 sœurs et ils nous ont toujours encouragées à faire ce qu’on voulait. Ils nous demandent seulement de le faire à fond, de tout donner !

<< Ce n’est qu’à 7.750m que j’ai commencé à avoir peur ! >>

Nanga Parbat Lunger Moro
En route vers le Camp 4, hivernale au Nanga Parbat


A.N. –
Sur le Cho Oyu, vous avez grimpé seule, de nuit, à plus de 7.000m d’altitude. Qu’est-ce qu’on ressent dans ce genre de situation ?

T.L. – OK, j’étais un peu nerveuse (rires). Oui, nerveuse. Mais j’étais là, sur la montagne ; j’étais la seule suffisamment acclimatée pour tenter quelque chose. Je pouvais faire le sommet. J’en étais certaine. Je pouvais le prouver ! Alors j’y suis allée ! J’étais hyper rapide, jusque bien au-dessus du camp 4. A environ 7.750m, j’ai compris qu’il fallait que je fasse demi-tour. Comme une petite voix qui me disait quoi faire. Alors je suis redescendue. En pleurant parce que j’avais renoncé. Mais à la réflexion, j’espère que j’écouterai encore cette petite voix dans le futur ! je pense qu’elle m’a sauvé la vie plusieurs fois. Et la première fois, c’était cette nuit là sur le Cho Oyu.

A.N. – En redescendant, vous avez été mêlée à une tragédie. Un ami sud-tyrolien, Walter Nones, qui était également sur le Cho Oyu venait de se tuer. Et vous avez aidé sa cordée à le retrouver. Qu’est-ce que ça a changé chez vous ?

T.L. – C’était une journée vraiment à part, aider à redescendre ce corps démembré. Mon équipe repartait mais je savais que je devais rester. Je me sentais très mal. Comme si quelqu’un venait de me voler ma montagne. C’était dur, pendant plus de 6 mois je ne savais vraiment plus ce que je devais faire. Je n’allais plus en montagne, ça ne me plaisait plus. Et puis je me suis dit : « si je veux encore faire de la montagne, il faut y aller, tout de suite, pour de bon ! ». J’ai beaucoup grandi à cette époque [NDLR : Tamara avait 24 ans à cette époque]. En fait j’ai découvert que j’étais honorée d’avoir fait partie de cette histoire de mort au Cho Oyu. J’ai compris que ça ferait toujours partie de ma vie en montagne. Que ça resterait en moi.

 << Je vais mourir, c’est sûr… >>

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Souffrance à la descente après une chute de 200m…

A.N. – et que ça se reproduirait peut-etre…

T.L. – Oui, je me suis dit : « si je continue, je vais revoir des choses comme çà ». Mais peu à peu je n’étais plus effrayée. Je voulais vivre les choses que j’aime vraiment. Ça a transformé mon point de vue sur la mort. Sur le K2 [sommet atteint en 2014], il y a plein de morts dans la montagne. Des corps que personne n’a jamais ramenés. J’avais peur de revoir çà.
Et puis pendant l’acclimatation, on a commence à chercher des corps sur le glacier. La peur a disparu. On a trouvé 2 corps. Je ne sais pas qui ils étaient. Je les ai regardé, je leur ai même parlé. C’était leur histoire et j’avais la mienne, une histoire différente. J’allais rentrer chez moi vivante ! Je vais mourir c’est sûr. Ça peut arriver, ça me va. Tant que je vis avec passion ! Je ne veux pas vivre jusqu’à 80 ans en attendant dans mon canapé qu’il se passé quelque chose !

A.N. – Vos parents peuvent entendre çà ? « je vais mourir de ma passion ! »

T.L. – En été, mes parents travaillaient dans un refuge dans les Alpes. Tout l’été on voyait défiler des randonneurs, des grimpeurs, qui disaient à ma mère : « je voudrais pas que mes enfants fassent çà, c’est trop dangereux ! » Et ma mère répondait à chaque fois : « Qu’est-ce qu’il y a de plus beau que le bonheur de votre enfant ? ».

Mes parents savent que je fais attention. J’ai fait demi-tour plusieurs fois. Je ne ferais jamais rien de complètement fou ! Et ils savent que je suivrai toujours cette petite voix intérieure !

A.N. – En 2012, vous réalisez l’ascension du Muztagh Ata (7.547m), en 2013 le Pic Lénine (7.143m), en 2014 le K2 (8.611m) et comme ce n’était pas encore assez dur, vous avez commencé à grimper en hiver… tentative au Manaslu (8.163m), puis au Nanga Parbat (8.126m)…

<< Le Nanga Parbat, c’était ma meilleure expédition ! >>

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Alex Tixkon, Tamara Lunger, Simone Moro, Ali Sadpara ; l’équipe du Nanga Parbat

T.L. – Je voulais encore repousser mes limites. Me tester dans ces conditions hyper dures. Voir si j’arrivais à gérer le froid. Le Nanga Parbat, c’était ma meilleure expédition. J’étais très proche de la mort, c’est vrai. Mais j’avais une super équipe, avec Simone Moro. J’ai beaucoup appris en faisant demi-tour [NDLR : à quelques dizaines de mètres sous le sommet]. J’étais vraiment très proche de ma limite. Mais je me sentais plus vivante que jamais.

A.N. – Comment cette ascension s’est déroulée ?

T.L. – A départ du Camp IV pour le push final, c’est chacun pour soi. J’étais responsable de ma propre vie. Je ne pouvais pas demander de l’aide. C’était si dur, ils n’auraient pas pu m’aider. La petite voix dans ma tête était de retour : « si tu vas au sommet, et tu y arriveras, mais tu n’auras plus la force de revenir. Tu n’en sortiras pas vivante ! » Mais je voulais encore vivre plein de choses.

Alors je suis redescendue tout seule jusqu’au Camp IV. C’était un miracle, je souffrais tellement. J’avais fait une chute de près de 200m sur une pente glacée. J’étais allongée dans la tente ? Je ne savais pas si j’allais pouvoir me relever le lendemain. Mes compagnons de cordée m’ont rejointe mais je ne disais rien. Je ne voulais pas paraitre faible. Je cachais mes larmes. C’était la première fois en montagne que je voulais qu’une chose, être une fille normale. J’avais besoin d’un câlin, qu’on me réconforte !

A.N. – Vous grimpiez seule au Cho Oyu. Maintenant vous avez l’habitude de grimper avec Simone Moro. Alors, on va vous revoir en solo ?

T.L. – J’aime bien grimper à deux. C’est trop bien de partager la joie d’être au sommet avec quelqu’un. Sur le Kangchenjunga cette année [NDLR : tentative de traversée avec 5 antécimes à plus de 8.000m], quand Simone a renoncé, j’ai pensé à continuer seule. J’aurais pu. Mais je préfère être deux. Quand vous êtes seule à une site haute altitude, une jambe cassée et c’est fini. Et puis grimper avec Simone c’est particulier. C’est le partenaire parfait. Il a quelque chose que je n’ai pas et j’ai quelque chose qui lui manque ! Je crois qu’un duo homme/femme, c’est une super combinaison pour grimper. On réfléchit différemment, ça peut-être très puissant !

Simone Moro
Soleil hivernal dans le Karakoram (Simone Moro)

A.N. – Quels sont les prochains projets ?

T.L. – J’en avais vraiment marre après le Kangchenjunga. Au camp de base, c’était nul, avec plein d’expéditions commerciales, des gens qui venaient piquer dans ta tente… je ne voulais pas revoir çà ! Je me suis vraiment demandé ce que j’allais faire. Après un mois en Inde à grimper en petit comité, tout était plus clair. Il me faut continuer à être en montagne mais je vais éviter les endroits fréquentés. Il y a toujours des soucis sinon. Alors mon futur sera sûrement plutôt sur des 6.000/7.000m que personne n’a jamais tenté plutôt que sur des 8.000. Je ne sais pas trop, nous verrons bien.

Et en janvier, je rejoins Simone Moro, encore lui ! Ce coup-ci, ce sera très très froid. On a décidé çà il y a une semaine et ce ne sera pas dans l’Himalaya ! Je voudrais aussi organiser une grande traversée dans les Alpes. J’aimerais un peu d’aventure plus près de chez moi !

 

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Illustrations : crédits (c) Tamara Lunger

 

 

Arnaud P

Passionné par l'univers de la montagne sous tous ses aspects, Arnaud est membre de la rédaction d'Altitude.News ! Originaire du sud de la France, ça ne l'a pas empêché de s'installer un temps en Savoie ! Il écrit des articles dans les catégories : Alpinisme, Rando/Trek, Business et Nature. Pour le contacter directement : arnaud@altitude.news !

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