Aconcagua

1954, expédition française sur la face sud de l’Aconcagua

Des Français s’endettent pour se lancer dans une nouvelle expédition qui risque bien de leur être fatale. Robert Paragot est de cette aventure sur le point culminant d’Amérique du Sud, l’Aconcagua.

Après le succès de l’expédition de 1952 au Fitz Roy, le Président argentin Juan Perón accepte de financer en partie une nouvelle aventure française sur les sommets argentins. A cette époque, Perón règne d’une main de fer sur le pays et profite de la manne providentielle apportée par les nazis fuyants les représailles en Europe. Les Français arrivent à Buenos Aires dans ce drôle de contexte. L’Aconcagua a déjà été conquis mais sa face sud reste vierge, et elle vaut le voyage. Près de 3.000 mètres à grimper. René Ferlet, secrétaire du Club Alpin Français est à la tête de ce projet. Il réunit d’autres Parisiens comme Robert Paragot ou Lucien Bérardini. Chacun doit verser quelques 100.000 Francs pour s’embarquer dans l’aventure. Ils réunissent la somme tant bien que mal. Paragot obtient notamment un prêt du Comité d’Entreprise de la Sécurité Sociale où il travaillait alors.

Décembre 1953, c’est le grand départ !

En décembre 1953, le groupe quitte la gare d’Austerlitz en direction de Bordeaux et de son port. Puis ce sont trois semaines de traversée pour Buenos Aires, Argentine. Ils n’ont pas les moyens de se payer le voyage en avion. A l’arrivée sur le continent américain, ils sont accueillis en grandes pompes. Ils ont même droit à une réception en leur honneur au palais présidentiel. Quelques jours plus tard, ils sont dans un avion affrété par Perón et se posent à Mendoza au pied de la Cordillère des Andes. Ils roulent ensuite jusqu’à la fin de la route. Quelques 200 kilomètres à être secoués à l’arrière d’un camion militaire brinquebalant.

Les voici bientôt au camp de base, à presque 4.000 mètres d’altitude. Le mois de janvier touche à sa fin et les hommes commencent à s’aventurer dans cette fameuse face sud. On a coutume de redouter les faces nord, moins ensoleillées. Mais c’est bon pour les Alpes et plus largement l’hémisphère Nord. En Argentine, ce sont les faces sud qui sont les plus redoutables (et les moins ensoleillées).

Comme ils s’y attendaient, l’escalade n’est pas simple et le froid est cinglant. Le camp I est installé à 4.500 mètres, le camp II à 5.200 mètres. Ils sont alimentés par d’interminables allers-retours de lourds sacs. Le 21 février, Ferlet retourne au camp de base, malade. Ils ne sont plus que six et comptent bien en finir rapidement. Alors plus question d’établir des camps en bonne et due forme, de précaires bivouacs suffisent. Il en faut trois pour arriver au bout. Les deux premiers sont pénibles mais acceptables, la soif se fait de plus en plus présente mais ils tiennent bon.

Lire aussi : 1897, la première ascension de l’Aconcagua

Un ressaut compliqué

Au lendemain du deuxième bivouac, ils font face à un ressaut compliqué. Les températures sont glaciales et ils se croient bloqués. Ce sont pourtant les meilleurs « rochassiers » de l’époque, ils ne peuvent pas être arrêtés par quelques blocs qu’ils auraient aisément surmontés dans leur chère forêt de Fontainebleau.

Alors Lucien Bérardini va faire comme à Paris, il retire ses gants et se jette à corps perdu dans la paroi. Il faut dire qu’ils n’ont plus guère le choix. Après les passages des jours précédents, ils ne peuvent plus redescendre en rappel, c‘est impossible. La seule issue se situe sur l’autre versant, après le sommet. Forcer ce passage est donc une question de vie ou de mort. En grimpant à mains nues, Bérardini est certain de deux choses : il va y arriver – il n’y a pas beaucoup de rochers qui lui résistent – et il va y laisser ses mains. Le bivouac du soir est terrible, assommé par le froid et la fatigue, chacun réfléchit aux séquelles à venir. Les mains et les pieds sont douloureux, les hommes tentent désespérément de les réchauffer, sans beaucoup de résultat.

Succès et gelures

Le 25 février 1954, ils arrivent au sommet, 6.962 mètres d’altitude,  en fin de journée. Ils sont dans un piteux état. Leurs noms griffonnés sur un petit cahier, laissé dans une boite métallique, ils repartent. Qu’importe ce fichu sommet. Ils ont la vie sauve, c’est bien l’essentiel ; reste désormais à perdre le moins d’orteils possibles. La descente ne traine pas et l’hospitalisation non plus. Seul Paragot s’en est sorti sans gelure et il en était presque honteux. Les autres restent à Mendoza jusqu’au milieu du mois de juin, pour se remettre.

Trajet retour, la compagnie de navigation fera crédit pour l’achat des billets. Et cerise sur le gâteau, le Comité d’Entreprise de la Sécurité Sociale offrira l’emprunt à Paragot, se transformant en sponsor de la dernière heure pour cette expédition au bout du monde. Bérardini y aura laissé une bonne partie de sa main gauche. Les autres quelques orteils. Dans les années qui suivront, Paragot et Bérardini réaliseront toute une série d’ascensions d’ampleur aux quatre coins du monde. On les verra l’année suivante au Grand Capucin (France) pour la première de la face nord, en 1966 au Huascarán (Pérou) pour une autre ouverture et en 1971 au pilier ouest du Makalu (Népal).

Illustrations © Pixabay

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Arnaud P

Passionné par l'univers de la montagne sous tous ses aspects, Arnaud est membre de la rédaction d'Altitude.News ! Originaire du sud de la France, ça ne l'a pas empêché de s'installer un temps en Savoie ! Il écrit des articles dans les catégories : Alpinisme, Rando/Trek, Business et Nature. Pour le contacter directement : arnaud@altitude.news !

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