Cluster Charcot

Cette « épidémie » inexplicable dans des villages de Savoie

En Savoie, un véritable cluster de la maladie de Charcot a fait l’objet d’une longue et fascinante enquête menée par une neurologue grenobloise. Des années de travail pour voir poindre une conclusion inattendue. Un facteur environnemental pourrait être en question.

C’est à la fin des années 2000 que la neurologue Emmeline Lagrange a commencé à s’intéresser à une « épidémie » de la maladie de Charcot au cœur des Alpes. Les causes de cette maladie neurodégénérative sont souvent multiples et l’idée même d’une épidémie est donc bien surprenante. A cette époque, le docteur Lagrange s’occupe d’une patiente de 42 ans, vivant dans un petit village des Alpes. Cette dernière vient d’être diagnostiquée avec la maladie de Charcot (ou SLA). Ce qui surprend alors Lagrange est que le médecin de cette patiente lui annonce que c’est le quatrième cas dans le village. Un chiffre bien au-delà de la normale pour cette maladie rare. Entre Montchavin et Belentre, deux petits villages voisins de la vallée de la Tarentaise, l’anomalie statistique est manifeste. Comment est-ce possible ? Plutôt connue pour être d’origine génétique, cette maladie pouvait-elle se concentrer géographiquement ?

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La SLA touche environ deux à trois personnes sur 100 000 en France. Mais certains « clusters », ou foyers inhabituels, ont été observés dans le monde. Le cas alpin, qui a fini par regrouper 16 patients, pousse Lagrange et une équipe de chercheurs à enquêter autour d’un facteur environnemental commun. Quelques-uns des plus grands spécialistes mondiaux de la maladie de Charcot viennent en Savoie. On mène alors divers tests : analyses d’eau, de sol, de l’air, et des matériaux de construction. Aucune source de pollution évidente ne se confirme. Parallèlement, les tests génétiques des patients ne révèlent aucune mutation connue associée à la SLA.

Les scientifiques explorent alors les habitudes de vie des habitants. Un questionnaire minutieux permet d’identifier trois aliments consommés plus fréquemment par les patients que par les autres. Le gibier, les pissenlits… et un champignon toxique, la fausse morille (Gyromitra esculenta). Ce champignon, parfois consommé par tradition dans la région, contient une toxine, la gyromitrine. On la soupçonne de provoquer des dommages neurologiques comparables à ceux observés dans d’autres foyers de SLA. Comme celui bien documenté de Guam.

Un roman inspiré de ces faits alpins est paru fin 2024. Amanita aenigma, de Laurence Bourgeois, est publié aux Editions Héloïse d’Ormesson .

L’hypothèse du rôle de ces champignons ne pourra jamais être formellement confirmée. Il faudrait que des individus se remettent à en consommer. En attendant, cette enquête de près de 10 ans renforce l’idée qu’un facteur environnemental, souvent négligé au profit de la génétique, pourrait déclencher la maladie. D’autres chercheurs partagent ce constat. Ils militent pour un meilleur suivi des cas et pour l’étude des expositions environnementales suspectes.

On ne consomme plus de ces champignons dans ces villages de Savoie et aucun nouveau cas ne s’est déclaré. Pour les familles touchées, l’idée que de simples champignons pourraient être en cause reste difficile à accepter. Elle représente néanmoins une avancée majeure dans la compréhension et la prévention de la maladie de Charcot.

Illustration – Montchavin © F.Pépellin, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

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Arnaud P

Passionné par l'univers de la montagne sous tous ses aspects, Arnaud est membre de la rédaction d'Altitude.News ! Originaire du sud de la France, ça ne l'a pas empêché de s'installer un temps en Savoie ! Il écrit des articles dans les catégories : Alpinisme, Rando/Trek, Business et Nature. Pour le contacter directement : arnaud@altitude.news !

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