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Gravir les sommets de l’Himalaya : avec ou sans oxygène ?

Il y a 40 ans, c’était une évidence. L’homme devait s’équiper de bouteilles d’oxygène pour gravir les plus hauts sommets du monde. Et puis, quelques alpinistes ont commencé à s’en passer. Aujourd’hui, l’ « oxygène supplémentaire » est la norme sur les expéditions commerciales. En revanche, les bouteilles se font beaucoup plus rares chez les alpinistes professionnels qui cherchent toujours à réaliser de nouveaux défis. Cette saison, Colibasanu, Bielecki, Berg, Hamor, Richards, Mingote… tous ces grands grimpeurs se passent d’oxygène. Il y a quelques jours, Nirmal Purja faisait parler de lui à l’Annapurna. Il était au sommet, avec des bouteilles d’oxygène. Pourquoi certains s’en passent et d’autres utilisent le précieux gaz sans s’en soucier ? Peut-on parler de dopage s’agissant d’utiliser ce gaz en plein effort ? Nos organismes peuvent-ils vraiment gravir des montagnes sans cette aide ?

Au départ, personne n’y croyait…

Au milieu du XXème siècle, les spécialistes pensaient que le corps humain ne pouvait résister à la pression de l’air à plus de 8.000 mètres. Ils étaient convaincus qu’une telle folie causerait des lésions irréversibles à ceux qui la tenteraient. La première démonstration contraire allait venir de Reinhold Messner et Peter Habeler en 1978. Le duo allait réussir malgré les avertissements sans appel de la communauté scientifique. Jusque là, tout le monde utilisait de l’oxygène ! En 1953, Edmund Hillary et Tenzing Norgay avaient leurs bouteilles, bien lourdes d’ailleurs. Pour la première hivernale à l’Everest en 1980, deux ans après l’ascension de Messner sans oxygène, les Polonais emmenés par Krzysztof Wielicki avaient bien leurs bouteilles. Aujourd’hui quand ce même Wielicki évoque les projets d’hivernales au K2, il lui semble inconcevable d’utiliser de l’oxygène pour autre chose que des cas d’extrême urgence.

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Bouteille ou pas, l’hypoxie est bien réelle…

Que le grimpeur utilise des bouteilles ou pas, il manque d’oxygène. Le flux de gaz délivré par les masques et bouteilles utilisées en montagne ne compense qu’en partie le manque. Cette privation d’oxygène dans l’organisme est appelé hypoxie. Ce phénomène physiologique entraîne plusieurs conséquences directes. Tout d’abord, pour tenter d’ « absorber » plus d’oxygène, le corps va faire travailler ses poumons beaucoup plus violemment. Cet effort très important, qui se matérialise par un essoufflement permanent, fatigue les organismes. Et plus le grimpeur veut faire fonctionner ses muscles (pour avancer, tirer sur une corde, se hisser), plus la demande en oxygène augmente. Le système digestif est également affecté, faisant perdre à l’alpiniste toute envie de se nourrir. Avec l’énergie fournie par la nourriture qui diminue, la fatigue va croissante. Le cerveau, moins alimenté en oxygène, a de plus en plus de mal à se reposer. Il est d’ailleurs difficile de dormir en situation d’hypoxie. On n’arrive plus à dormir, mais on perd également en lucidité. Le sang, lui, s’épaissit et circule moins bien, favorisant les gelures. Bref, en hypoxie, le corps humain se détériore à vue d’œil.

En alimentant le grimpeur en oxygène, les bouteilles limitent cette hypoxie mais pas totalement. Des études ont montré que si l’effort est très intense, le grimpeur arrivant au sommet de l’Everest (8.850m) ressentira les effets de privation d’oxygène d’une altitude d’environ 8.000 mètres. S’il est au repos en revanche, son organisme aura l’impression d’être au sommet du Mont Blanc (4.800 mètres environ).

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Nos corps ne peuvent résister bien longtemps…

5% seulement des ascensions de l’Everest ont été réalisées sans oxygène. Aujourd’hui, dès 7.000 mètres, les bouteilles et les masques apparaissent. A 8.000, rares sont les alpinistes à ne pas en utiliser. Car les effets de l’hypoxie peuvent être dramatiques si le temps passé au-delà d’une certaine altitude est trop important. Dans la fameuse « zone de la mort » , les organismes faiblissent. Sur une ascension longue, le moindre accro aux horaires prévu peut être fatal aux grimpeurs. En 1996, l’une des catastrophes de l’exploitation commerciale de l’Everest (racontée dans le film éponyme) était en partie due à des délais d’attente trop longs au-dessus de 8.000 mètres. Les cordes fixes que les grimpeurs comptaient utiliser n’étaient pas encore installée, les obligeant à patienter à très haute altitude. Perdant ainsi un temps précieux, face au mauvais temps qui arrivait et allait nécessiter toute leur énergie. En seulement deux jours, 8 alpinistes ont ainsi trouvé la mort. Et ils utilisaient tous de l’oxygène supplémentaire.

Sur les dix dernières années à l’Everest, près de 8% des grimpeurs ayant dépassé les 8.000 mètres sans oxygène sont morts sur la montagne. Le taux pour les grimpeurs sous oxygène est inférieur à 1%. Alors que l’évolution des technologies, et notamment des appareils à oxygène, a contribué à faire baisser drastiquement le taux de mortalité sur des sommets comme l’Everest au fil des décénnies, retirer son masque fait grimper vertigineusement ce même taux de mortalité. Il est ainsi statistiquement 8 fois plus mortel de gravir l’Everest sans oxygène qu’avec.

De plus, des études ont montré que les alpinistes qui fréquentent de très hautes altitudes sans oxygène supplémentaires causaient de légers dommages à leur cerveau. « des dysfonctionnements cognitifs mineurs et subtils qui ne peuvent être détectés que par des tests psychométrique ». Très loin de ce que prédisaient les scientifiques des années 1970.

Une approche plus éthique…

En n’utilisant pas d’oxygène supplémentaire, les alpinistes mettent en avant une approche plus éthique de la montagne. « Si l’on grimpe un sommet de 8.000 en ayant l’impression d’être 2.000 mètres plus bas, cela n’a aucun intérêt. Autant gravir un 6.000 » explique un himalayiste. « Dans la communauté des alpinistes, gravir un sommet avec de l’oxygène c’est être un randonneur » confirme Cory Richards. Et les athlètes professionnels font le parallèle avec le dopage dans certains sports. Et pour cause, l’oxygène supplémentaire permet d’aller plus loin, plus haut, plus vite… la ressemblance est évidente. Ceci étant, dans les années 1950, les premiers himalayistes utilisaient de l’oxygène. Mais ils avaient également recours à des drogues, à l’image d’Hermann Buhl et de sa Pervitine sur les pentes du Nanga Parbat.

Cette logique a été érigée en grands principes par la communauté montagnarde. En 2002, la Conférence du Futur des Sports de Montagne à Innsbruck en parlait dans sa « Déclaration du Tyrol »  qui fixe les bonnes pratiques en montagne. « le style à adopter sur les grandes montagnes sous-entend de ne pas utiliser de cordes fixes, de drogues améliorant les performances et d’oxygène en bouteilles ».

Illustration © WorldNavigata – Wikimedias

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Arnaud P

Passionné par l'univers de la montagne sous tous ses aspects, Arnaud est membre de la rédaction d'Altitude.News ! Originaire du sud de la France, ça ne l'a pas empêché de s'installer un temps en Savoie ! Il écrit des articles dans les catégories : Alpinisme, Rando/Trek, Business et Nature. Pour le contacter directement : arnaud@altitude.news !

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