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Himalaya : 21 morts d’alpinistes évitables ?

Alors que la saison des expéditions se termine, un 21ème nom est venu compléter la liste sans fin des victimes. L’Américain Christopher Kulish, 61 ans est mort près du Col Sud en revenant du sommet. Cet avocat du Colorado est, comme beaucoup, mort de conséquences du Mal des Montagnes. A regarder de plus près la liste exhaustive des décès de cette saison, quelques enseignements doivent pouvoir être tirés.

Des agences peu regardantes

Plus de 2/3 des morts avaient choisi une compagnie d’expédition népalaise.

Tout d’abord, que disent les chiffres… Sur les 21 morts de cette saison, près de 70% appartenaient à des compagnies d’expéditions népalaises. Seuls 4 victimes avaient choisi un opérateur occidental. Depuis quelques années, l’industrie des expéditions a vu fleurir de nouveaux acteurs népalais qui représentent aujourd’hui la majorité des clients. La plupart proposent des prix plus attractifs que les compagnies occidentales, attirant dans leur clientèle un nombre croissant d’(apprentis) alpinistes.

A la question « quelle expérience faut-il pour gravir l’Everest avec votre compagnie ? », une des plus connues nous a répondu « une première expérience sur un 5.000 est un plus, vous devriez en gravir un ». Ce type de compagnie vend ses « places » pour l’Everest à environ 35.000 euros. A l’autre bout de l’échiquier, les compagnies occidentales les plus anciennes demandent « un vrai CV d’alpiniste ». Pour gravir l’Everest « il faut avoir une expérience à 7.000 comme l’Aconcagua, idéal pour l’altitude. Et des expériences de froid intense comme au Denali. Une première expérience à 8.000 est un plus ». En parallèle, cet organisme vend son expédition à l’Everest quelques 55.000 euros.

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« La cliente devant moi avait vraiment du mal à mettre un pied devant l’autre et s’emmêlait dans les cordes » raconte un prétendant au sommet cet année qui a croisé bon nombre de grimpeurs qui n’avaient pas les compétences de base pour être là. Au Népal, la régulation des opérateurs sur les 8.000 est quasi-inexistante.

Des embouteillages dramatiques

Déjà en 1996, les files d’attente avaient eu des conséquences dramatiques pour les prétendants à l’Everest. Aujourd’hui encore, ces bouchons sont responsables de plusieurs décès. Au niveau des différents ressauts, côté népalais ou tibétain, des échelles et passages étroits permettent aux alpinistes de circuler, un par un… Comme certains sont plus lents que d’autres, le flux peut rapidement s’engorger. Résultat, des délais importants à attendre à certains passages clés. Quand la météo est correcte, la plupart des alpinistes peuvent supporter ces longues attentes. Mais les plus fatigués et ceux qui sont malades peuvent y laisser la vie. L’Américain Don Cash et l’Indienne Anjali Kulkarni sont deux exemples de morts évitables cette année sans ces embouteillages. Les deux grimpeurs auraient peut-être survécu s’ils n’avaient pas patienté plusieurs heures avant de perdre de l’altitude.

Si on met en regard le nombre de grimpeurs par jour de sommets et le nombre de morts, la corrélation est frappante. L’an dernier, la météo avait permis d’étaler les flux de grimpeurs à l’Everest sur une douzaine de jours. Résultat, deux morts « non accidentelles ». Cette année, avec seulement 8 jours de sommets, c’est une dizaine de morts qui sont comptabilisées. Même tendance en 2012 souligne le magazine Desnivel, chiffres à l’appui. En bref, plus la météo restreint le nombre de jours disponibles pour gravir l’Everest, plus le nombre de morts est tiré vers le haut.

Le Mal des montagnes sous-estimé

Embouteillages ou pas, la quasi-totalité des morts de la saison sont dites « non accidentelles ». A l’exception d’un Irlandais qui a chuté sur l’Everest, et un sherpa tombé dans une crevasse au Cho Oyu, les autres morts sont liés à l’épuisement et au mal des montagnes. Tous les organismes ne sont pas égaux devant le mal des montagnes. Certains en souffriront dès 5.000m, d’autres pas. Les rotations d’acclimatation mises en place sur les différents sommets de l’Himalaya ont pour but de réduire ce mal des montagnes en habituant les corps à l’altitude. Pour autant, ce n’est pas une condition suffisante pour réduire le risque à néant. Certaines personnes souffriront du mal des montagnes malgré la meilleure acclimatation du monde.

Il faut donc à tout prix comprendre les alertes de son organisme et faire demi-tour tant qu’il en est encore temps. Les alpinistes doivent aussi accepter que leur guide ou sherpa a le dernier mot s’agissant de continuer ou de faire demi-tour. En 1820, quand le Docteur Hamel veut aller au Mont Blanc et que son guide tente de lui faire faire demi-tour, il refuse. Quelques minutes plus tard, la cordée est emportée par une avalanche. Depuis les débuts de l’alpinisme « commercial », les positionnements du guide et du client ont un impact sur la prise de décision.

Alors que l’assertivité des guides occidentaux a considérablement progressé, les sherpas sont confrontés au même problème. Le cinéaste Elia Saikaly écrivait à sa descente de l’Everest cette semaine : « des gens que j’ai tenté de convaincre de faire demi-tour ont continué et sont morts ». Sur un sommet qui cristallise tant de rêves et représente un investissement très significatif, l’alpiniste en difficulté préfère occulter ses maux plutôt que renoncer.

La mort par épuisement est aussi liée à la condition physique initiale. Les agences peu regardantes peuvent à nouveau être montrées du doigt. Pour autant, les prétendants aux sommets ont leur part de responsabilité. Ils savent que gravir un 8.000 requiert une forme olympique et un entrainement très poussé. Trop souvent, ils pensent que dépenser quelques dizaines de milliers d’Euros pour une expédition suffit à leur assurer la réussite. Sauf que sur ces montagnes, on achète la logistique et le soutien, pas le sommet. Pourtant, les messages marketing du genre « tout le monde peut aller au sommet, pourquoi pas vous ? » séduisent toujours, et bon nombre de prétendants au sommet semblent découvrir que gravir un 8.000 est dangereux. Que prendre la décision d’aller à l’Everest signifie prendre le risque de ne pas revenir.

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Entre les grimpeurs qui se croient invincibles ou qui pensent « acheter leur sommet » et les agences qui ne sont pas toutes très regardantes, l’absence totale de régulation conduit aux catastrophes humaines encore vues cette saison. Peut-on compter sur les grimpeurs et les opérateurs pour limiter les dégâts ? Entre égo et business, difficile d’en être convaincu…

Quand on voit les difficultés que la France a à réguler les ascensions du Mont Blanc, qui causent de nombreux morts chaque année, le Népal pourra-t-il imposer de nouvelles règles aux alpinistes et aux opérateurs ? Au Tibet, les autorités ont durci les lois en la matière. Une expérience sur un premier 8.000 sera désormais indispensable pour s’attaquer à l’Everest par le versant chinois. Mais le Tibet ne peut réguler à lui seul les accès à ce sommet partagé avec le Népal. La balle est dans le camp de Katmandou. En souhaitant, comme le recommandait récemment David Göttler, que les réactions soient réfléchies et pas sous le coup de l’émotion.

Illustration  © DR

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Eric T.

Eric, spécialiste de l'univers de la montagne, a mis son baudrier et ses crampons de côté pour rédiger des articles pour : Altitude.news. Business, Nature et Alpinisme sont les trois rubriques principales dans lesquelles vous pouvez retrouver ses articles. Ce montagnard d'adoption est à l'affût d'histoire et d'anecdotes insolites à partager avec ses lecteurs. Pour le contacter directement : eric@altitude.news !

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