Montagen sans remontées mécaniques

La montagne sans remontées mécaniques : la recette perdant-perdant de cet hiver ?

Une montagne sans remontées mécaniques cette année. Que donne cette décision du gouvernement, longtemps décriée par les professionnels, en pleines vacances d’hiver ? Entre désastre économique et problématique sanitaire, le choix des autorités semble-t-il pertinent sur le terrain ? Ou cet hiver en montagne n’est-il pas perdant tant pour l’économie que pour la dimension sanitaire ?

Après de longues tergiversations, les autorités françaises ont finalement décrété que les remontées mécaniques devraient rester fermées pendant les vacances d’hiver. La période la plus fréquentée de l’année, la haute saison incontournable pour les professionnels du tourisme de montagne. Sur le terrain, la réalité est contrastée, certaines stations tirent leur épingle du jeu à la faveur d’un peu de créativité ou d’une plus faible dépendance au ski alpin. Mais nombreux sont les professionnels qui souffrent de la situation, notamment dans les stations d’altitude. Quant à la question sanitaire, au cœur de la décision des autorités, la fermeture des remontées mécaniques est loin de l’avoir écartée. Bien au contraire. Bref, est-ce que la situation ne serait pas perdante pour tout le monde ? Nous sommes allés sur place, dans les stations de ski de Savoie.

Moins de monde sur les routes des Alpes

Rouler un samedi de février à destination des vallées de Savoie est généralement un calvaire. Les bouchons y sont nombreux et les trajets à rallonge. Pour peu que l’aventure se termine par un montage de chaînes à neige dans les derniers virages avant la station, et le cauchemar est complet. Cette année, rien de tout cela. Le trafic est normal, on peut accéder tranquillement aux massifs. Et pour cause, les plus gros hébergeurs de montagne ont jeté l’éponge. Faute de domaines skiables ouverts, le Club Med, MMV ou encore Belambra ont préféré garder leurs résidences fermées. D’autres comme Pierre et Vacances ou Odalys n’en ont ouvert que quelques-unes. Des dizaines de milliers de lits touristiques volatilisés. Alors forcement, il y a moins de monde. Les incertitudes liées à la situation sanitaire ont aussi retardé les réservations. Résultat : les prix ont chuté pour tenter de remplir les hébergements encore ouverts. On croyait donc être tous seuls…

Des visiteurs concentrés sur les fronts de neige

Faute de pouvoir disperser des milliers de visiteurs sur des hectares de domaines skiables, les clients se retrouvent donc concentrés. Dans les rues des stations, sur les fronts de neige, sur les sentiers accessibles aux piétons. A toute heure, certains commerces font le plein. Des restaurants ont planté des parasols dans la neige devant leur porte, on peut s’assoir par terre et boire un verre. Non, ce n’est pas à proprement parler une terrasse. A de nombreux endroits, l’affluence semble quasi-normale. Et dans certaines stations, c’est le cas. Comme à Chamrousse, en Isère, où on compte près de 10.000 visiteurs par jour. En témoignent les files d’attente pour pénétrer dans une école de ski ou une boulangerie.

C’est évidemment une réalité en trompe l’œil, car les milliers de clients qui passent habituellement leurs journées à skier ne sont pas là. La situation est donc plus complexe. Dans cette station d’altitude de Tarentaise (Savoie), très tournée vers le ski alpin, c’est catastrophique. Les loueurs de ski n’ont rien loué, ou pas grand-chose. Nombreux sont ceux qui ont fermés plusieurs de leurs magasins. Et ceux qui restent ouvert passent leur journée à expliquer à leurs clients qu’ils n’ont plus de raquettes ou de skis de randonnée en stock. Rarement demandés les années précédentes, ces équipements ont connu un succès sans précédent cette année. Et rares sont ceux qui l’avaient anticipé.

Des télésièges à l’arrêt mais…

Comme décidé par les autorités, les remontées mécaniques sont bien à l’arrêt. Les télésièges et les téléskis notamment. Surprise, les tapis roulants ont le droit de fonctionner. Et pour cause, ils ne sont pas régis par les mêmes règles, ce n’est pas du « transport par câble ». L’absurde est là, sous nos yeux. Les télésièges qui permettent de circuler à l’air libre sont fermés. Mais ces tapis, judicieusement enfermés dans des tunnels de plexiglas, sont en fonctionnement. Et comme c’est le seul moyen de pratiquer le ski alpin, ils ne désemplissent pas.

Quelques minutes plus tard, un hélicoptère rouge et jaune de la Sécurité Civile approche. Il a été appelé pour un accident de luge. Plus tard dans l’après-midi, le même équipage sera mobilisé quelques vallées plus loin, pour un accident de ski de randonnée. L’arrêt des remontées mécaniques n’est pas vraiment synonyme d’arrêt des accidents. Les hôpitaux de la région sont-ils vraiment soulagés ?

Quand arrive le couvre-feu…

Le parking de notre hébergement n’est pas plein mais les touristes sont arrivés de la France entière. Les visiteurs venus du reste de l’Europe, ou de plus loin, sont absents. Dans certaines stations, ils représentent plus de la moitié des clients, les seules restrictions aux frontières ont donc un impact certain sur l’activité économique de certains territoires de montagne. Quand arrive 18 heures, quelques groupes d’enfants bravent le couvre-feu pour une dernière descente en luge ou une ultime bataille de boules de neige. Puis on ferme les yeux sur le traiteur de la résidence qui accepte des clients pour ses pizzas à emporter jusqu’à 19h30… Et très vite, à la faveur de la tombée de la nuit, les pistes se vident et le calme revient. En apparence du moins. Car dans notre résidence comme ailleurs, il flotte un parfum de vacances. Et au beau milieu de la nuit, nos voisins sont rentrés de leur soirée, quelque part avec leurs amis dans un autre appartement de la résidence. Ah ben oui, c’est peut-être le couvre-feu mais ça reste les vacances…

Des gestes barrières oubliés

Dans cette station du Beaufortain (Savoie), la topographie a permis de mettre en place une navette qui fait office de remontée mécanique. Toute la journée, des bus se suivent pour amener des skieurs quelques centaines de mètres plus haut, et leur permettre une descente enneigée. Au-delà de la question environnementale (on a donc remplacé des télésièges électriques par des navettes diesel), la dimension sanitaire est sur la devant de la scène. Car à cinquante skieurs comprimés dans une navette, on peut regretter l’air libre des télésièges. Et même si le port du masque est obligatoire, les constats réalisés dans plusieurs stations tendent à montrer qu’en vacances, le touriste n’est pas toujours aussi rigoureux en matière de gestes barrières que le reste de l’année. A Méribel il y a quelques semaines, les navettes ont dû être temporairement supprimées face à ce type d’incivilités. Même son de cloche en Haute-Savoie, à Morzine, « dans les navettes gratuites, les gestes barrières semblent vite oubliés ».

Des patrouilles indulgentes

Pour autant, malgré des panneaux qui rappellent l’obligation de porter le masque, la limite est compliquée à poser. En Savoie, la préfecture oblige théoriquement le port du masque partout, sauf dans le cadre d’activités sportives. La randonnée ou les balades ne font pas partie des exceptions. Pourtant, dès que l’on quitte les trottoirs de la station, les masques disparaissent. Et qu’importe si les groupes se frôlent. Et que dire des écoliers masqués dans leur cour de récréation quelques jours plus tôt qui se retrouvent démasqués quand il s’agit d’école… de ski ! Au-delà des rues commerçantes, dans lesquelles les patrouilles sont au rendez-vous, les forces de l’ordre ne semblent pas s’aventurer sur le front de neige et sont bien volontiers indulgentes quand elles croisent un promeneur sans masque.

Montagne sans remontées mécaniques : quels bilans économique et sanitaire ?

Quelle différence avec une saison normale où les remontées mécaniques auraient pu fonctionner ? Quelle différence avec des vacances où tous les hébergements auraient pu ouvrir ? La différence va surtout se ressentir dans les comptes des entreprises locales. Hébergeurs, restaurateurs, commerçants, indépendants, nombreux accusent le coup et ne doivent leur salut qu’aux aides de l’Etat. Certains ne s’en remettront pas. Aux navettes bondées qui déversent leur flot de skieurs, on pourra rétorquer qu’elles ont permis à des dizaines de moniteurs de ski de faire une saison « acceptable ». Mais tous n’ont pas eu cette chance. Notamment les saisonniers, qui n’ont pas été embauchés.

Quant au bilan sanitaire, il sera compliqué à établir. Est-ce que la décision de garder les remontées mécaniques fermées aura permis de limiter la propagation du virus ? De soulager les hôpitaux ? Est-ce que les vacances sont réellement un cadre dans lequel on oublie plus volontiers les gestes barrières ? Les touristes repartant chez eux, difficile d’avoir une évaluation précise de la mesure gouvernementale mais en ce début mars, après plusieurs semaines de vacances, le département de la Savoie voit son taux d’incidence progresser. Et les premiers cas de variants sud-africains du département sont apparus… dans une station de ski !

Illustrations (descente de la navette) © Altitude

  

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Arnaud P

Passionné par l'univers de la montagne sous tous ses aspects, Arnaud est membre de la rédaction d'Altitude.News ! Originaire du sud de la France, ça ne l'a pas empêché de s'installer un temps en Savoie ! Il écrit des articles dans les catégories : Alpinisme, Rando/Trek, Business et Nature. Pour le contacter directement : arnaud@altitude.news !

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